Acide lactique et courbatures
Pour la plupart des personnes, courbature (DOMS) rime systématiquement avec acide lactique. Cette croyance est malheureusement une des plus ancrées dans le monde sportif, et c’est la raison pour laquelle il est primordial de partager au maximum l’information suivante : non, l’acide lactique n’est pas responsable des courbatures. Ces dernières sont généralement caractérisées par une hyperalgésie mécanique musculaire, c’est-à-dire une augmentation de la douleur lorsque les muscles sont étirés, palpés ou se contractent lors d’un mouvement (1).
Sur quoi se basaient les théories de l’acide lactique ?
Le lactate, substance produite au cours du métabolisme glycolytique de l’effort, induirait une douleur lorsqu’il est injecté dans les muscles squelettiques. Ainsi, les scientifiques en sont arrivés aux conclusions que des concentrations excessives de lactate pouvaient induire des sensations douloureuses, à cause des terminaisons nerveuses libres, répondant aux stimulis chimiques et mécaniques (2).
Il a également été proposé que les douleurs et raideurs ressenties lorsque l’on a des courbatures, proviendraient de microlésions musculaires, d’une inflammation de ces mêmes muscles mais surtout de l’accumulation de métabolites dans ces derniers (3).
Bien que certaines preuves existent concernant l’activation des récépteurs douloureux via la présence de certains métabolites produits lors de la fatigue musculaire, la théorie de l’acide lactique a été largement rejetée comme cause principale des DOMS (4).
Mais alors pourquoi cette théorie ne peut plus être d’actualité ?
La première raison appuyant ce rejet est la composante temporelle puisque les concentrations de lactate redescendent très rapidement après l’arrêt de l’activité physique. Or, les courbatures atteignent leur pic douloureux dans les 24 à 72 heures suivant l’exercice et disparaissent en quelques jours (5). Deuxièmement, les scientifiques n’ont pu déceler aucune corrélation entre les concentrations de lactate et l’intensité des douleurs ressenties induites par les courbatures.
De plus, l’exercice concentrique entraine beaucoup moins souvent des DOMS par rapport à des concentrations excentriques. Or, il a été démontré que la production de lactate était considérablement plus élevée lors de contractions concentriques, décrédibilisant à nouveau le rôle de l’acide lactique dans les courbatures. Ces observations, effectuées sur des courses à plat et des courses en descente, ont recensées plus de courbatures lors de l’épreuve en descente mais également des concentrations en lactate plus faibles.
De leur côté, Paulsen et al. n’ont signalé aucune association entre le DOMS et l’inflammation des fibres musculaires après 300 contractions excentriques du quadriceps, incriminant plutôt les dommages et le remodelage de la matrice extra-cellulaire comme possible responsables des courbatures, et non les fibres musculaires en elles-mêmes (6).
D’où proviennent alors ces courbatures ?
Les recherches récentes se sont alors dirigées vers l’importance du tissu conjonctif et le rôle des fascias dans ces douleurs. Il a été démontré que le fascia profond établissait des relations intimes avec le muscle squelettique et qu’il pouvait être endommagé en cas de charges excessives ou après un effort. A noter également que les fascias contiennent des récépteurs douloureux, capables d’envoyer des réponses beaucoup plus fortes que l’irritation musculaire par l’acide lactique (3). Il s’avère que le fascia deviendrait plus sensible à la stimulation électrique (c’est-à-dire plus douloureux) que le muscle après un exercice. C’est l’étude qu’ont mené Itoh et al en introduisant une technique intramusculaire de seuil de douleur afin d’évaluer la sensibilité face à la douleur de la peau, du fascia et du muscle séparément. Ils ont ainsi rapporté que le seuil de la douleur était significativement moins important chez le fascia par rapport à la peau et au muscle, 2 jours après un exercice intense. Ils considèrent ainsi que les nocicepteurs présents dans les fascias seraient les responsables de ces fameuses courbatures (1). D’autres chercheurs évoquent la possibilité que les dommages causés au tissus conjonctif après un exercice intense entraineraient l’activation d’un plus grand nombre de nocicepteurs, libérant automatiquement des substances responsables des douleurs dans la région endommagée jusqu’à augmenter la sensibilisation centrale pour que toute stimulation de cette zone soit qualifiée de douloureuse par le cerveau ensuite (1).
A noter qu’une autre hypothèse de la présence de courbatures pourrait reposer sur le gonflement intramusculaire associé à l’inflammation qui exercerait une pression sur les récepteurs mécanosensibles. Le gonflement maximal après un effort coïnciderait avec le pic de DOMS. Des cellules inflammatoires envahiraient le tissu musculaire endommagé pour lui envoyer des messages douloureux mais cette hypothèse reste tout de même fragile selon les différents auteurs s’étant penchés sur le sujet (7).
En conclusion :
Tous les résultats évoqués précédemment suggèrent que les DOMS proviendraient d’une sensibilité complètement différente du tissu conjonctif entourant les fibres musculaires (endomysium), les faisceaux musculaires (périmysium) ou le fascia (épimysium) aux stimuli mécaniques et chimiques. Ainsi, les nouveaux courants de pensée attribuent un rôle déterminant au tissu conjonctif pour les courbatures, en qualifiant le collagène comme potentiel substrat pathogène de ces douleurs à la suite d’un effort.
Références :
1. Lau WY, Blazevich AJ, Newton MJ, Wu SSX, Nosaka K. Changes in electrical pain threshold of fascia and muscle after initial and secondary bouts of elbow flexor eccentric exercise. Eur J Appl Physiol. mai 2015;115(5):959‑68.
2. Jankowski MP, Rau KK, Ekmann KM, Anderson CE, Koerber HR. Comprehensive phenotyping of group III and IV muscle afferents in mouse. J Neurophysiol. mai 2013;109(9):2374‑81.
3. Wilke J, Behringer M. Is “Delayed Onset Muscle Soreness” a False Friend? The Potential Implication of the Fascial Connective Tissue in Post-Exercise Discomfort. Int J Mol Sci. 31 août 2021;22(17):9482.
4. Cheung K, Hume P, Maxwell L. Delayed onset muscle soreness : treatment strategies and performance factors. Sports Med Auckl NZ. 2003;33(2):145‑64.
5. Cleary MA, Sweeney LA, Kendrick ZV, Sitler MR. Dehydration and symptoms of delayed-onset muscle soreness in hyperthermic males. J Athl Train. déc 2005;40(4):288‑97.
6. Paulsen G, Crameri R, Benestad HB, Fjeld JG, Mørkrid L, Hallén J, et al. Time course of leukocyte accumulation in human muscle after eccentric exercise. Med Sci Sports Exerc. janv 2010;42(1):75‑85.
7. MacIntyre DL, Reid WD, McKenzie DC. Delayed muscle soreness. The inflammatory response to muscle injury and its clinical implications. Sports Med Auckl NZ. juill 1995;20(1):24‑40.
8. Mense S. Functional Anatomy of Muscle: Muscle, Nociceptors and Afferent Fibers. In: Mense S, Gerwin RD, éditeurs. Muscle Pain: Understanding the Mechanisms [Internet]. Berlin, Heidelberg: Springer Berlin Heidelberg; 2010 [cité 30 avr 2022]. p. 17‑48. Disponible sur: http://link.springer.com/10.1007/978-3-540-85021-2_2