Le changement de direction
Changement de direction, entre performance et blessure :
Le changement de direction (COD) est une phase clé permettant aux joueurs de faire des différences individuelles ou collectives, et ce particulièrement dans le football. Il joue ainsi un rôle crucial dans la performance mais il est aussi souvent responsable de nombreuses blessures si le corps n’est pas totalement prêt à faire face à ces contraintes particulières. Parlons ainsi de ce fameux COD, pilier de la performance mais également dans la prévention de blessures.
Qu’est-ce qu’un changement de direction (COD) ?
Le changement de direction est l’enchainement d’une décélération associé à accélération dans une direction différente par la suite. C’est une phase de jeu complexe, influencée par de multiples variables comme : la technique, la vitesse de sprint en ligne droite, les qualité musculaires de l’athlète, la coordination mais également l’anthropométrie (taille, poids, masse graisseuse…) (1). Tous ces facteurs viennent conditionner cette capacité à être le plus efficient possible dans son changement de direction, tant dans le temps de réaction ou dans la puissance développée lors du mouvement.
Différents tests existent pour tenter de mesurer les capacités de changements de direction de l’athlète (T-test, 505 test…). Malgré cela, il reste compliqué de quantifier précisément cette capacité car un joueur rapide sur un plan linéaire peut quand même performer sur ce genre de test, en masquant ses difficultés sur le COD avec sa capacité de sprint (2).
Pourquoi joue-t-il un rôle clé dans la pratique sportive ?
Certaines études développent le fait qu’en match de football professionnel, un sportif pourrait avoir à réaliser environ 700 changements de direction (dribbles, replis défensifs…), dont environ la moitié à haute intensité. On parle également d’une moyenne de 9,3 décélérations par 15 minutes jouées environ (3). Ces changements de direction jouent ainsi les premiers rôles dans la performance sportive et physique puisque ce sont ces derniers qui font les distinctions entre les athlètes. Dans une étude, il a été remarqué que les joueuses sélectionnées pour des essais étaient plus rapides de 0,5 à 0,8 km/h que les joueuses non sélectionnées (4). Cette capacité d’accélération et de vitesse sur des sprints courts est désormais essentielle dans le haut niveau pour espérer se démarquer sur un terrain. En effet, l’évolution du football exige désormais un nombre plus élevé d’action courtes à hautes intensités pour assumer les responsabilités tactiques, avec ou sans le ballon (5). Par exemple, il a été démontré que les milieux de terrain avaient effectué 20% de décélérations à haute intensité de plus lorsqu’ils jouaient en 3-4-3 par rapport au 4-4-2 (6). Ainsi, le changement de direction est au centre de la pratique sportive et s’il veut pouvoir performer : le sportif ne pourra pas éviter cette phase de jeu.
Quelles exigences physiologiques demande-t-il ?
Dans tous les sports collectifs (excepté le football américain), il a été prouvé que la proportion de décélérations à haute intensité était plus élevée que celle des accélérations. Ces décélérations sont généralement effectuées dans le but de réduire l’élan avant une manœuvre de changement de direction. Bien qu’il ait été démontré que les décélérations de haute intensité sont de très courte durée (72% d’une durée inférieure à 1 s), elles représentent la charge mécanique la plus élevée par mètre – jusqu’à 65% de plus que toute autre activité en match et environ 37% de plus que des accélérations d’intensité similaire (5). Ces décélérations se caractérisent biomécaniquement par un profil de force de réaction au sol et des pics d’impacts extrêmement élevés, opposant le corps à d’énormes contraintes.
Le changement de direction est ainsi l’action la plus exigeante dans la pratique sportive puisqu’il engendre une énorme fatigue neuromusculaire excentrique, en plus de toute l’énergie dissipée dans la stabilisation et la coordination du mouvement. Il a également été démontré que ces accélérations et décélérations à haute intensité sont les variables les plus épuisantes durant un match. Ces recherches témoignent d’une diminution de la fréquence et de la distance de ces accélérations et décélérations en deuxième mi-temps, à cause justement de cette fatigue musculaire déjà engendrée en première mi-temps (5). Ces diminutions de fréquences sont associées à une diminution des capacités de performance neuromusculaire et à des indicateurs de lésions musculaires à la fin du match. De plus, il a également été prouvé que les joueurs parcourant une plus grande distance de décélération à haute intensité expriment une charge de match et une fatigue plus élevée, d’où le rôle crucial que représentent ces phases de jeu dans la performance et dans le maintien de cette dernière.
Quels risques de blessures ?
Il a été démontré que les accélérations ont un coût métabolique plus important, tandis que les décélérations ont une charge mécanique plus élevée, dû aux pics d’impacts et aux charges rencontrées, pouvant causer des dommages plus conséquents aux tissus mous si ces forces ne sont pas correctement absorbées. En effet, la force de freinage excentrique nécessaire aux décélérations peut endommager ces structures en raison des tensions musculaires élevées. Ces freinages peuvent ainsi perturber l’intégrité structurelle des fibres musculaires et entraîner une dégénérescence myofibrillaire (7). Jaspers et al ont montré qu’une augmentation de la charge de décélérations sur 2 à 4 semaines augmentait considérablement le risque de blessures de surutilisation (8). Cette fatigue mécanique accumulée, due aux charges répétitives, dépassait en effet le taux de remodelage des tissus pour aboutir à des pathologies (fractures de fatigue, pubalgies, tendinopathies, lésions musculaires…) (9).
Pour aller plus loin, lors du changement de direction, une énorme charge excentrique est associée à une vitesse de contraction maximale sur certains muscles. Ces facteurs, associés à une fatigue neuromusculaire lors du match, exposent le corps à un risque important de lésion.
Concernant les blessures articulaires, le changement de direction est au centre des facteurs de risques lors des lésions des ligaments croisés. En effet, les charges mécaniques élevées lors des décélérations aboutissent à une importante fatigue neuromusculaire. Cette fatigue sera responsable de la diminution des capacités de coordination et de dissipations des charges de freinage pour le sportif. Ce manque de coordination et de lucidité aboutira par la suite à une mauvaise mécanique et à un moins bon contrôle lors des changements de direction. A noter que ces charges seront d’autant plus importantes lorsque l’individu aura des articulations limitées dans les amplitudes. Un manque de mobilité, notamment en flexion dorsale de cheville, rend les mouvements latéraux effectués à grande vitesse plus susceptibles de perturber la stabilité générale du corps. Ce manque de mobilité diminue également les capacités d’absorption des charges et répartissant moins efficacement les forces subies. (10). Toutes ces conditions ont été associées à une augmentation des lésions sans contact du ligament croisé antérieur, en raison des fortes charges multiplanaires appliquées au genou alors que le pied est planté au sol (flexions, rotations, abductions…) (7).
Comment éviter une blessure lors du changement de direction ?
La meilleure façon d’éviter une blessure lors du changement de direction est de s’entrainer à ce mouvement spécifique. En prévention, l’objectif de l’entrainement est de préparer le corps à faire face aux contraintes qu’il retrouvera dans sa pratique sportive. Il est également possible de diminuer ce risque de blessure en prenant en compte distinctivement les différentes variables retrouvées sur le changement de direction à l’image de la force explosive, la décélération, la coordination ou encore sur la gestuelle sportive.
Bien que les charges appliquées varient en fonction de l’angle du changement de direction ou de son intensité, l’objectif est de développer la capacité des structures musculo-tendineuses à atténuer les forces excentriques élevées auxquelles le corps devra faire face (5). La prévention passera ainsi par un renforcement spécifique aux changements de direction mais également par une amélioration de la biomécanique de mouvement. Il semblerait que rajouter des appuis lors de la décélération permettrait de diminuer les contraintes biomécaniques sur les tissus du corps et de mieux répartir les charges, afin d’être plus efficient par la suite dans son changement de direction, tout en diminuant l’impact que ce dernier peut avoir sur l’organisme (7).
Au-delà de la simple prévention et si l’athlète désire être plus performant sur cette phase de jeu, il devra se tourner vers un entrainement à cycles rapides de raccourcissement-étirements (SSC). En effet, l’entrainement devra se composer de sauts au SSC rapide comme le Drop Jump s’il veut améliorer sa vitesse de sprint. Il a été démontré que les qualités de force réactive peuvent être bénéfiques pour développer une vitesse sur 10 et 20 m chez les joueurs de football, en utilisant la pliométrie (2). Il a également été démontré qu’avec un CMJ (counter movement jump), reprenant un temps de contact au sol souvent > 250 ms, il n’existait pas de lien entre hauteur de saut et amélioration de la performance sur le sprint. Cependant, en reprenant un Drop Jump explosif, avec un temps de contact au sol < 250 ms, les vitesses de sprints courts étaient sensiblement améliorées (11).
Cependant, pour développer la capacité de COD, les entraîneurs doivent être conscients qu’une approche plus globale est nécessaire et ne doit pas uniquement se baser sur la vitesse de sprint. Ainsi, les programmes devraient comporter des exercices tenant compte à la fois des qualités de force et de puissance des membres inférieurs mais également de la technique de mouvement spécifique de l’athlète.
Que doit-on en retenir ?
Le changement de direction est au centre des débats concernant la performance et la prévention de blessures. Ce dernier représente une des actions les plus réalisées dans un match, que ce soit à haute ou faible intensité, mais il représente également une des actions les plus à risque. Il est ainsi primordial de maitriser cette phase de jeu et de préparer son corps à y faire face, et ceci sur la durée. Il est important de considérer le changement de direction avec une vision globale mais également spécifique pour optimiser l’entraînement de ce dernier.
Références :
1. Arcos AL, Aramendi JF, Emparanza JI, Castagna C, Yanci J, Lezáun A, et al. Assessing Change of Direction Ability in a Spanish Elite Soccer Academy. J Hum Kinet. mars 2020;72:229‑39.
2. Emmonds S, Nicholson G, Begg C, Jones B, Bissas A. Importance of Physical Qualities for Speed and Change of Direction Ability in Elite Female Soccer Players. J Strength Cond Res. juin 2019;33(6):1669‑77.
3. Bloomfield J, Polman R, O’Donoghue P. Physical Demands of Different Positions in FA Premier League Soccer. J Sports Sci Med. 2007;6(1):63‑70.
4. Vescovi JD. Sprint speed characteristics of high-level American female soccer players: Female Athletes in Motion (FAiM) study. J Sci Med Sport. sept 2012;15(5):474‑8.
5. Harper DJ, Carling C, Kiely J. High-Intensity Acceleration and Deceleration Demands in Elite Team Sports Competitive Match Play: A Systematic Review and Meta-Analysis of Observational Studies. Sports Med Auckl NZ. déc 2019;49(12):1923‑47.
6. Tierney PJ, Young A, Clarke ND, Duncan MJ. Match play demands of 11 versus 11 professional football using Global Positioning System tracking: Variations across common playing formations. Hum Mov Sci. oct 2016;49:1‑8.
7. McBurnie AJ, Harper DJ, Jones PA, Dos’Santos T. Deceleration Training in Team Sports: Another Potential « Vaccine » for Sports-Related Injury? Sports Med Auckl NZ. janv 2022;52(1):1‑12.
8. Dos’Santos T, Thomas C, Jones PA. How early should you brake during a 180° turn? A kinetic comparison of the antepenultimate, penultimate, and final foot contacts during a 505 change of direction speed test. J Sports Sci. févr 2021;39(4):395‑405.
9. Edwards WB. Modeling Overuse Injuries in Sport as a Mechanical Fatigue Phenomenon. Exerc Sport Sci Rev. oct 2018;46(4):224‑31.
10. Sekulic D, Spasic M, Mirkov D, Cavar M, Sattler T. Gender-Specific Influences of Balance, Speed, and Power on Agility Performance. J Strength Cond Res. mars 2013;27(3):802‑11.
11. Kale M, Aşçi A, Bayrak C, Açikada C. Relationships among jumping performances and sprint parameters during maximum speed phase in sprinters. J Strength Cond Res. nov 2009;23(8):2272‑9.