Ligaments Croisés
Pourquoi l’atteinte des ligaments croisés du genou est-elle si célèbre ?
Etant sûrement la blessure la plus redoutée par le footballeur, l’atteinte des ligaments croisés semble être un parcours insurmontable dans l’esprit de certains joueurs. Il est cependant essentiel de savoir que cette atteinte peut être rééduquée correctement afin de retrouver ses sensations pré-lésionnelles. En effet, bien que longue et difficile, la rééducation des ligaments croisés permet au sportif de retrouver son niveau, à condition qu’il s’arme de patience et de persévérance. A savoir que toutes les lésions des ligaments croisés ne sont pas forcément opérées, même si elles sont elles sont quasiment systématiques chez les sportifs de haut niveau. La prévention joue également un rôle particulier en diminuant considérablement la probabilité de lésions.
Globalement, les ligaments croisés forment le pivot central du genou et sont responsables de la limitation des mouvements antérieurs/postérieurs excessifs du genou (1). Ils sont composés de 2 ligaments principaux, détaillés anatomiquement :
- Le Ligament Croisé Antéro Externe (LCAE) : Résiste à la translation antérieure du tibia mais aussi contre la rotation interne du tibia et l’angulation en valgus au niveau du genou.
- Le Ligament Croisé Postéro Interne (LCPI) : Résiste à la translation postérieure du tibia sur le fémur dans toutes les positions de flexion du genou
Dans 70 à 80 % des cas, les lésions des ligaments croisés sont dues à un mécanisme sans contact et généralement après une hyperextension du genou (2). A noter que ces lésions se retrouvent plus souvent chez les femmes ou jeunes adolescentes. En effet, il existe un rôle prédominant des hormones féminines, induisant une laxité ligamentaire plus conséquente. La recherche a identifié des récepteurs d’œstrogène et de progestérone dans le LCAE, suggérant une influence hormonale dans les entorses du LCAE (3). Il est également intéressant de relever qu’entre 20 et 50 degrés de flexion, la stabilité de l’articulation du genou est moindre, car les deux ligaments croisés sont assez lâches, c’est la raison pour laquelle il peut être judicieux de travailler dans ces amplitudes de mouvement en séance de prévention (1).
Indépendamment du sexe et du type de traitement (chirurgical ou conservateur), les lésions des ligaments croisés sont associées à des complications potentielles sur le long terme, notamment une instabilité chronique du genou, des déchirures du ménisque, des lésions du cartilage ou encore le développement de l’arthrose. On estime qu’environ 50 % des patients touchés présenteront des signes d’arthrose associés à des douleurs et à une déficience fonctionnelle dans les 10 à 20 ans suivant la blessure initiale (4).
Quels tests pour le diagnostic ?
Quelques exemples de tests sont à mettre en place pour tenter de déceler une atteinte du ligament croisé antérieur ou postérieur, bien que ces examens nécessitent l’avis et le ressenti de professionnels de la santé.
- Lachmann trillat : Constituant le plus reconnu des testing du LCAE, il consiste à tester le ligament en situation de flexion inférieure à 30°. Un bon relâchement musculaire des ishios-jambiers est primordial afin de ne pas perturber le test ni le ressenti du clinicien. Une main se place au niveau de la cuisse et l’autre au niveau de la tubérosité tibiale antérieure, puis le praticien vient imprimer un mouvement de cisaillement et de tiroir antérieur. Si l’arrêt est mou, on peut alors suspecter une lésion du ligament.
- Test du tiroir postérieur : Il permet de mettre en évidence une atteinte du ligament croisé postérieur. Le patient est allongé sur la table, le genou fléchi à 90° et le thérapeute est assis sur son pied. Ses 2 mains sont placées sur le 1/3 supérieur du tibia avec les pouces en regard de l’interligne articulaire. Il exerce ensuite une pression pour imprimer un tiroir postérieur. Si l’arrêt est mou, alors il risque d’y avoir une lésion du LCPI.
Les tests ne remplacent pas les résultats après imagerie médicale, une IRM est nécessaire afin de valider ou non les diagnostics déjà préétablis.
Anatomiquement, les croisés c’est quoi et où ?
Anatomiquement, le LCAE est un ligament inséré en avant sur le tibia et se dirige en haut, en dehors et en arrière pour se fixer sur la face médiale du condyle externe fémoral. En vérité, il est lui-même constitué de 2 ligaments, croisés entre eux dans un plan sagittal et l’autre dans un plan frontal (antéro-médial/postéro-latéral). Il s’agit d’une structure intra-articulaire mais extracapsulaire dont la capacité de cicatrisation est limitée (2). A noter également qu’il est moins bien vascularisé que le LCPI.
Quant à lui, le LCPI est un ligament inséré en arrière sur le tibia et se dirige en haut, en dedans et en avant pour se fixer sur le condyle interne du fémur. Il est mieux vascularisé et également composé de 2 faisceaux torsadés (antéro-médial/postéro-latéral).
La rééducation, comment se passe-t-elle ?
Premièrement, il est important de savoir que les effets d’une rééducation commençant avant l’opération ne sont plus à discuter. Cette rééducation précoce, commencée en amont de l’opération, permet de limiter et d’anticiper les conséquences de cette dernière sur les muscles comme le quadriceps et les ischios-jambiers. Un renforcement actif, surveillé et en chaine fermée, est ainsi à appliquer dès que possible une fois que les douleurs se sont dissipées. Le travail proprioceptif augmente également la vitesse de progression de récupération proprioceptive après une opération.
Dans la communication avec ses patients, il est nécessaire de partir sur un programme de rééducation d’au moins 8 mois et de l’adapter à l’évolution de chacun. Pour les sportifs, il semble plus aisé de tabler sur une période de 6 mois intensive de rééducation, puis d’y ajouter 2 mois de réathlétisation, tout en continuant les soins de kinésithérapie en parallèle. La maturation de la plastie est à 12 mois, mais on parle souvent de 3 ans pour que le tendon soit identique au ligament.
ATTENTION : une surveillance accrue de tous les mouvements et une mise en place d’exercices sécurisés est à mettre en place entre le 2ème et le 4ème mois. C’est en effet la période de ligamentisation, période où la greffe de tendon se transforme en ligament de manière naturelle. Cependant, cette conversion implique une fragilité importante du greffon. Il est ainsi recommandé de ne pas effectuer de sauts ou d’exercices proprioceptifs trop intensifs dans cette période afin de ne pas risquer une nouvelle lésion !
Au long de cette rééducation, le travail sera toujours basé sur la notion de progressivité, aboutissant à une phase de réathlétisation avec ou sans ballon en fonction de la période et du ressenti de joueur. La partie psychologique est trop peu souvent abordée, mais une communication positive et des encouragements permet une amélioration des ressentis du joueur. Il est nécessaire que ce dernier soit conscient que la remise à niveau physique et proprioceptive va prendre du temps et qu’il est primordial de ne jamais brûler les étapes.
Le plus important, comment prévenir les atteintes des ligaments croisés ?
Points importants :
- Travail proprioceptif varié ! (Yeux fermés ou ouverts, déséquilibre, varier les appuis)
- Travail du contrôle de la pose d’appui dans diverses situations
- Renforcement des ischios-jambiers et des muscles de la loge externe de la hanche pour stabiliser le genou genou (moyen et grand fessier, TFL…)
- Attelle de genou à éviter dans un but purement préventif (différent si c’est en post-lésion)
- Mobilité de cheville : une notion capitale
- Bonne récupération nécessaire
- Travail proprioceptif du tronc
De manière globale, il a été démontré que l’IMC (Indice de Masse Corporelle) est un facteur de risque déterminant concernant les lésions des ligaments croisés, mais également celles du genou en général. En effet, il en va de soi qu’une personne plus corpulente impactera davantage les structures de son articulation à chaque appui ou réception.
Pour une prévention plus spécifique, il est démontré qu’un programme de présaison associé à un programme d’entretien porte grandement ses fruits (5). Ce programme doit être commencé environ 6 semaines avant d’être confrontés aux efforts intenses retrouvés lors des matchs, pour laisser le temps à l’organisme de s’adapter physiologiquement (2). Il ne s’agit pas simplement de renforcer ses capacités de stabilisation avant de commencer la saison, mais bien de poursuivre cet entrainement pour en garder les bénéfices sur le long terme.
La notion la plus évidente est sûrement celle basée sur le renforcement proprioceptif. Cependant, elle se doit d’être travaillée de manière précise et la plus variée possible, afin de préparer le genou à toutes situations. Le contrôle de l’atterrissage est incontestablement le point à travailler et cela en modifiant au maximum les entrées visuelles ou proprioceptives. Ainsi, il est recommandé de réaliser des exercices en unipodal, bipodal, avec les yeux ouverts ou fermés ou de perturber les entrées sonores de l’athlète avec de la musique ou des informations supplémentaires. Instaurer un déséquilibre dans la phase de propulsion, de saut ou de réception permet de travailler également en profondeur les capacités rapides d’adaptation. De plus, Hewett et Myer (6) ont prouvé que le mécanisme des blessures du LCAE sans contact comprend également un mauvais contrôle du tronc, d’où l’importance de travailler la proprioception du tronc et la position des membres supérieurs lors des sauts. D’autre part, la musculature et la position du tronc sont également en lien étroit avec les blessures du LCAE sans contact, en raison de leur influence sur l’activation des ischios-jambiers (7). La méta-analyse de Gagnier et al. a également démontré l’efficacité de cet entrainement neuromusculaire et de l’intervention éducative, qui semblent réduire l’incidence des blessures du LCAE d’environ 50 % (8).
Concernant le renforcement, il est primordial de cibler principalement les ischios-jambiers, car ces derniers empêchent la translation antérieure du tibia en fonctionnant comme agonistes du LCAE (5). Nyland et al. (9) ont également démontré que la fatigue des ischios-jambiers entraînait des déficits de contrôle dynamique du genou dans le plan transversal, augmentant le risque de lésion. Cependant, la force du grand et moyen fessier est tout autant cruciale pour réduire la rotation fémorale et le valgus du genou lors de la réception, ou lors des changements de direction (10).
Dans la littérature, de nombreux programmes intègrent des exercices pliométriques dans leur régime, représentant des exercices alternant des contractions excentriques puis concentriques d’un même muscle. Ces exercices peuvent être imagés avec des enchainements de sauts et de réceptions. Il a été démontré que ces derniers permettent de diminuer les forces d’atterrissage, de réduire le moment d’adduction et d’abduction de la hanche, d’augmenter la puissance des membres inférieurs et de diminuer l’incidence des blessures graves (11). La pliométrie permet également de traiter les différences de force et de dominance des jambes en rééquilibrant les rapports musculaires de manière fonctionnelle. Les résultats des programmes d’entrainements pliométriques confirment le rôle de la musculature de la hanche dans la stabilisation dynamique et le contrôle de l’alignement du membre inférieur au moment du contact avec le sol. Ces programmes permettent ainsi d’optimiser la qualité d’atterrissage à chaque appui (12). Cependant, à la moindre faiblesse de ces muscles, il sera plus difficile de stabiliser et d’aligner le genou avec le reste du membre inférieur si la hanche est fléchie, aboutissant à un risque accru de lésion aux genoux. La littérature évoque également que l’augmentation de l’activité préparatoire des adducteurs et cette coactivation adducteur-abducteur grâce à la pliométrie, s’était avérée bénéfique pour maintenir une bonne stabilité au niveau de la hanche.
Concernant les attelles ou strapping, il est nécessaire d’être prudent. Si ces contentions sont utilisées uniquement dans un but préventif, la littérature témoigne d’effets peu concluants concernant leur efficacité (13). Utilisées en matchs ou entrainements, elles peuvent certes limiter légèrement les torsions ou rotations, mais elles peuvent néanmoins diminuer la vitesse de sprint, augmenter la fatigue musculaire et surtout diminuer le contrôle proprioceptif interne sur du long terme. Tout cela implique des effets totalement contradictoires à tous les programmes précédemment proposés. Cependant, il est important de garder à l’esprit que l’on parle ici des attelles en prévention et non celles portées après une blessure.
Le petit plus qui change tout : la bonne mobilité de la cheville !
Une notion, particulièrement sous-cotée dans l’importance de la prévention des blessures aux genoux, repose sur une bonne mobilité de la cheville, et ce en flexion dorsale. En effet, une plus grande amplitude de mouvement en dorsiflexion passive de la cheville est associée à un plus grand déplacement en flexion du genou. De ce fait, le genou être plus impliqué dans la bonne stabilité du membre inférieur, puisque ce dernier peut ainsi mieux se servir de ses capacités de stabilisation active. Cette meilleure mobilité de cheville permet au genou de rester dans un axe vertical, évitant directement le risque de lésions ou de dérobements. A noter également que cette augmentation d’amplitude permet de diminuer les forces de réactions au sol lors des atterrissages.
D’autre part, l‘augmentation de l’extensibilité des fléchisseurs plantaires associée à cette bonne amplitude des mouvements de dorsiflexion peut contribuer à réduire indirectement la charge du ligament croisé antérieur (14).
Pour résumer, une meilleure mobilité de cheville permet au genou de mieux absorber les contraintes, sans risquer de se dérober à la suite d’un blocage de la cheville. Cette dernière induit directement une contrainte violente et non axée sur le genou.
Références :
1. Hassebrock JD, Gulbrandsen MT, Asprey WL, Makovicka JL, Chhabra A. Knee Ligament Anatomy and Biomechanics. Sports Med Arthrosc Rev. sept 2020;28(3):80‑6.
2. Acevedo RJ, Rivera-Vega A, Miranda G, Micheo W. Anterior cruciate ligament injury: identification of risk factors and prevention strategies. Curr Sports Med Rep. juin 2014;13(3):186‑91.
3. Renstrom P, Ljungqvist A, Arendt E, Beynnon B, Fukubayashi T, Garrett W, et al. Non-contact ACL injuries in female athletes: an International Olympic Committee current concepts statement. Br J Sports Med. juin 2008;42(6):394‑412.
4. Zebis MK, Andersen LL, Bencke J, Kjaer M, Aagaard P. Identification of athletes at future risk of anterior cruciate ligament ruptures by neuromuscular screening. Am J Sports Med. oct 2009;37(10):1967‑73.
5. Alentorn-Geli E, Myer GD, Silvers HJ, Samitier G, Romero D, Lázaro-Haro C, et al. Prevention of non-contact anterior cruciate ligament injuries in soccer players. Part 2: a review of prevention programs aimed to modify risk factors and to reduce injury rates. Knee Surg Sports Traumatol Arthrosc Off J ESSKA. août 2009;17(8):859‑79.
6. Hewett TE, Myer GD. The mechanistic connection between the trunk, hip, knee, and anterior cruciate ligament injury. Exerc Sport Sci Rev. oct 2011;39(4):161‑6.
7. Wilk KE, Escamilla RF, Fleisig GS, Barrentine SW, Andrews JR, Boyd ML. A comparison of tibiofemoral joint forces and electromyographic activity during open and closed kinetic chain exercises. Am J Sports Med. août 1996;24(4):518‑27.
8. Gagnier JJ, Morgenstern H, Chess L. Interventions designed to prevent anterior cruciate ligament injuries in adolescents and adults: a systematic review and meta-analysis. Am J Sports Med. août 2013;41(8):1952‑62.
9. Nyland JA, Caborn DN, Shapiro R, Johnson DL. Crossover cutting during hamstring fatigue produces transverse plane knee control deficits. J Athl Train. avr 1999;34(2):137‑43.
10. Zazulak BT, Hewett TE, Reeves NP, Goldberg B, Cholewicki J. Deficits in neuromuscular control of the trunk predict knee injury risk: a prospective biomechanical-epidemiologic study. Am J Sports Med. juill 2007;35(7):1123‑30.
11. Hewett TE, Lindenfeld TN, Riccobene JV, Noyes FR. The effect of neuromuscular training on the incidence of knee injury in female athletes. A prospective study. Am J Sports Med. déc 1999;27(6):699‑706.
12. Chimera NJ, Swanik KA, Swanik CB, Straub SJ. Effects of Plyometric Training on Muscle-Activation Strategies and Performance in Female Athletes. J Athl Train. mars 2004;39(1):24‑31.
13. Najibi S, Albright JP. The use of knee braces, part 1: Prophylactic knee braces in contact sports. Am J Sports Med. avr 2005;33(4):602‑11.
14. Fong CM, Blackburn JT, Norcross MF, McGrath M, Padua DA. Ankle-dorsiflexion range of motion and landing biomechanics. J Athl Train. févr 2011;46(1):5‑10.